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Vidéo litigieuse à Gaza: la réponse de France Télévisions

Le médiateur de France Télévisions a répondu aux critiques d’InfoEquitable. Nous faisions observer que la vidéo d’une femme en pleurs sur les ruines de sa maison à Gaza diffusée par Envoyé spécial le 18 avril avait été tournée par un journaliste lié aux médias du Hamas, sans que les téléspectateurs en aient été informés.

Le médiateur affirme que le cameraman en question travaillait pour la télévision turque et nous demande de rétracter nos propos. Nous le remercions d’avoir pris le temps d’étudier nos remarques. Afin de permettre aux lecteurs d’InfoEquitable de prendre connaissance de l’ensemble des termes du débat, nous publions sa réponse dans son intégralité, avant de formuler nos observations.

 

Lien vers notre article initial :

http://infoequitable.org/envoye-special-diffuse-sans-le-dire-une-video-tournee-par-le-hamas/

 

La réponse du médiateur de France Télévisions

(Veuillez chers lecteurs lire également nos observations sur cette réponse plus bas, après le texte du médiateur)

 

Monsieur.

Je suis très étonné que vous n’ayez pas attendu ma réponse pour publier votre texte. Il n’y avait, à mon sens, aucune urgence sur cette question importante et vous avez pris le risque d’attenter à l’honneur professionnel et la réputation d’une équipe, d’un journaliste et de France Télévisions.

Vous savez pourtant, par expérience, que nous répondons toujours, et en prenant le temps d’étudier les choses sérieusement. C’est ce que j’ai fait avec votre courrier, lu et analysé avec attention.

Il apparaît que vos sources ont multiplié les affirmations infondées et/ou mensongères et qui pourraient relever, pour certaines, de la diffamation. En conséquence, votre texte est composé de graves fausses affirmations/informations, dont je vous propose de reprendre les plus graves :

  • « Quand France Télévisions diffuse (sans le dire) les vidéos du Hamas » :  ceci est mensonger et diffamatoire.

Pour rappel, il existe bien des « vidéos du Hamas ». Il s’agit de vidéos de propagande incluant des images martiales, ou ce que le Hamas présente comme des « preuves de vie des otages » telle que celle diffusée ici ces derniers jours. Ces vidéos sont filmées, montées et diffusées par le Hamas, essentiellement via sa chaîne Telegram. 

Il n’y a absolument aucun rapport entre ces vidéos du Hamas et la scène brute diffusée dans Envoyé Spécial, qui a été filmée par un cameraman travaillant pour la télévision turque TRT (d’ailleurs propriétaire des images en question et créditée dans le générique de fin d’Envoyé Spécial, cf. capture d’écran ci-dessous), et vérifiée puis diffusée par Envoyé Spécial

Même en multipliant les raccourcis et les approximations, qualifier ces images de « vidéos du Hamas » n’a absolument aucun sens, et relève de la désinformation.

*Lien vers un article écrit à partir de vidéos du Hamas :

https://francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/guerre-entre-israel-et-le-hamas-une-nouvelle-video-d-otages-diffusee_6513539.html

*Capture d’écran des crédits images du reportage, incluant la chaîne turque TRT propriétaire des images en question :

  • « Une séquence choc d’une femme palestinienne en pleurs a été tournée par un caméraman du Hamas. Sans que les téléspectateurs en soient informés. » : ceci est encore mensonger et diffamatoire.

Comme indiqué, la vidéo en question a été filmée par un caméraman de la chaîne turque TRT (d’ailleurs créditée en fin d’émission pour ces images, cf. capture d’écran ci-dessus), qui travaille aussi ponctuellement pour la quasi-totalité des médias mondiaux sur Gaza et notamment Al-Jazeera, CNN, la BBC et, ici Envoyé Spécial qui a racheté ces images et lui a commandé d’autres séquences. La chaîne turque TRT présente d’ailleurs le caméraman en question comme son caméraman sur place, comme on le voit dans ce tweet officiel de la TRT, cf. lien et capture d’écran ci-dessous.

*Lien vers le compte X (ex-Twitter) officiel de la chaîne turque TRT, daté de février 2024, présentant le caméraman comme caméraman de TRT :

*Capture d’écran du compte X (ex-Twitter) officiel de la chaîne turque TRT, daté de février 2024, présentant le caméraman comme caméraman de TRT :

  • « Mohamed Ahmed intervient dans le reportage pour authentifier la séquence vidéo » : c’est faux.

La vidéo a été authentifiée par Envoyé Spécial par ailleurs, notamment en croisant plusieurs sources vidéos (la même scène a été filmée par plusieurs vidéastes professionnels ou amateurs qui l’ont diffusée sur leurs réseaux sociaux).

Envoyé Spécial a également retrouvé la femme en question 15 jours après cette séquence, dans le cadre de nos démarches de vérifications et d’authentification, et diffusé cette interview de 5 minutes sur les réseaux sociaux de l’émission, toujours par souci de transparence, cf. lien ci-dessous.

Voilà pour l’authentification.

S’agissant du caméraman, il n’intervient que par souci de transparence envers les téléspectateurs : le reportage dans son ensemble fait d’ailleurs la démarche exceptionnelle de montrer toutes les personnes nous ayant transmis des images, qu’ils soient journalistes gazaouis (comme ici et comme un second caméraman) ou humanitaires occidentaux.

*Lien vers le compte X (ex-Twitter) d’Envoyé Spécial et la vidéo interview de 5 min de la protagoniste principale de la vidéo en question

*Capture du compte X (ex-Twitter) d’Envoyé Spécial diffusant la vidéo interview de 5 min de la protagoniste principale de la vidéo en question

  • « Pourquoi l’émission Envoyé Spécial ne précise-t-elle pas l’employeur de l’homme qui lui a fourni la vidéo ? » : cela est précisé en fin de reportage.

L’employeur principal de l’homme qui fournit la vidéo est la chaîne turque TRT, qui est créditée en fin de reportage (cf. capture d’écran des crédits de fin d’émission ci-dessus). Par ailleurs le caméraman a été pour ce tournage missionné par Envoyé Spécial en qualité de pigiste. 

Cette question est donc doublement problématique : son employeur principal (TRT) est bien mentionné, et cela n’apporte aucune information particulière pour le reportage.

  • « Malgré cela, le document vidéo transmis par le journaliste de l’agence Shehab, Mohamed Ahmed, a été considéré comme fiable et ne nécessitant guère plus de vérifications. » : cela est  faux, à de multiples titres.

Non seulement Mohamed Ahmed n’est pas journaliste à l’agence Shehad comme rappelé précédemment mais employé principalement par la chaîne turque TRT (créditée en fin de reportage), mais, comme cela est explicité au-dessus, la vidéo en question a été vérifiée par recoupement avec d’autres vidéos prises le même jour au même endroit par plusieurs vidéastes professionnels et amateurs, ainsi que par le témoignage en longueur de la protagoniste principale, réalisé à la demande d’Envoyé Spécial 15 jours après le bombardement, comme détaillé plus haut. Toutes les vérifications possibles ont été effectuées.

  • « Le reportage d’Envoyé Spécial n’a pas été en mesure de préciser la date exacte du bombardement de l’immeuble dans lequel habitait Mme Baalosha ainsi que sa localisation précise, ce qui aurait permis d’authentifier la séquence et d’en savoir plus. » : cela est faux.

La date du bombardement est mentionnée dans le reportage, ainsi que la localisation (Gaza City) comme il est d’usage. La date, l’heure, les circonstances et le lieu exacts sont à nouveau rappelés en détail dans l’interview de vérification de la protagoniste principale, mentionnée plus haut, et qui a d’ailleurs été exceptionnellement diffusée par Envoyé Spécial sur les réseaux sociaux de l’émission après la diffusion du reportage, à nouveau par souci de transparence, cf. lien et capture d’écran cités plus haut.

  • « Envoyé Spécial n’a semble-t-il pas cherché non plus à contacter les services du porte-parole de l’armée israélienne pour essayer d’obtenir des informations sur les raisons du bombardement de cet immeuble. » : encore une fausse affirmation puisqu’ Envoyé Spécial a contacté à plusieurs reprises et notamment par écrit, en donnant plusieurs jours de délai et en précisant notre deadline et notre date de diffusion, les services du porte-parole de l’armée israélienne pour obtenir des informations sur les différents bombardements mentionnés dans le reportage. Malgré plusieurs relances, nous n’avons eu aucune réponse.

Je suis donc au regret de constater que votre texte est basé sur de grosses erreurs, très préjudiciables, qui questionnent sur les motivations et l’honnêteté de vos sources. 

Il me semble a contrario que les faits avancés en réponse à votre courrier sont clairs, transparents et fondés.

Je ne doute pas que vous avez été abusé par des sources non fiables. Je vous demande donc de supprimer immédiatement toutes vos publications (réseau sociaux, internet, etc.) sur ce sujet, et de les rectifier. Dans le cas inverse, le sujet ne sera plus une affaire relevant de la Médiation, France Télévisions se réservant le droit de poursuites en diffamation.

Bien à vous,

Jérôme CATHALA

 

Les observations d’InfoEquitable sur la réponse de France Télévisions

Qu’il nous soit permis de faire remarquer que nous avons attendu plusieurs jours, depuis notre message au médiateur de France Télévisions du 26 avril, avant de publier le 1er mai notre article, sans que le médiateur ait accusé réception de notre e-mail. Alors qu’aucune règle du droit de la presse ne nous y obligeait et dans un esprit de dialogue, nous lui avons adressé en primeur l’intégralité de l’article d’InfoEquitable afin qu’il puisse en prendre connaissance et en lui indiquant qu’il serait publié « dans les prochains jours ». Nous avions promis de publier sa réponse éventuelle, et l’ayant reçue le 2 mai nous le faisons bien volontiers ici dans l’intérêt de la transparence du débat contradictoire.

Nous contestons le caractère « mensonger et diffamatoire » de notre article.

Les informations que nous avons publiées s’appuient sur des faits avérés. La mise au point que nous avons sollicitée auprès de France Télévisions avait pour but de déterminer de la manière la plus transparente possible l’origine de la vidéo diffusée lors de l’émission Envoyé spécial.

Cette démarche nous parait légitime concernant des images provenant de Gaza. Pour mémoire, il s’agit d’un territoire aux mains du Hamas, classé sur la liste officielle des organisations terroristes de l’Union européenne. L’information n’y est pas libre et de nombreux témoignages attestent que le Hamas exerce une pression très forte sur les journalistes, vidéastes ou fixeurs qui y travaillent.

A ce sujet, InfoEquitable a publié il y a quelques mois cet article consacré au récit de l’ancien correspondant de France Inter à Jérusalem qui relatait lui-même les menaces pesant sur son fixeur gazaoui. Dès lors, à notre sens, on est en droit de s’interroger sur les conditions dans lesquelles une vidéo a été réalisée à Gaza. Cela n’a rien de diffamatoire.

Nous prenons acte qu’Envoyé spécial s’est renseigné auprès des services du porte-parole de l’armée israélienne même s’il n’en a pas été fait état dans le reportage. Nous aurions des remarques sur l’authentification de l’événement (le témoignage de Mme Baalosha quelques jours après ne prouve pas la véracité de sa parole, et nous serions intéressés à voir les autres séquences que l’équipe d’Envoyé spécial a visionnées). Mais nous entendons nous concentrer sur le point principal – la qualité de la source.

Nous maintenons que, selon de nombreuses sources, le journaliste Mohamed Ahmed est ou a été tout récemment employé par des médias liés au Hamas.  

France Télévisions dément que le journaliste Mohamed Ahmed soit lié à l’agence Shehab et indique qu’il travaille en réalité pour la télévision turque Turkish Radio and Television (TRT). A l’appui de cette affirmation, le médiateur nous précise que les images de la vidéo ont été rachetées à cette télévision turque, ainsi que cela est indiqué au générique de fin de l’émission. Dont acte.

Il n’en reste pas moins que cette mention au générique, purement technique, est très succincte : le nom de la Turkish Radio and Television figure simplement aux côtés d’autres organes de presse ou ONG (BBC, AFP, Associated Press, Handicap International, Unicef…) dont les images ont également alimenté le reportage. Or, Mohamed Ahmed ne se présente dans le reportage que comme « photo-reporter de Palestine », le commentaire du reportage ne fournit aucune précision supplémentaire à ce sujet et rien ne permet donc aux téléspectateurs (à supposer qu’il aient été assez vigilants pour lire et décrypter le générique de fin jusqu’au bout) de conclure que la mention de la chaîne turque au générique concerne la vidéo de Mohamed Ahmed.

Le médiateur de France Télévisions nous a bien adressé le lien d’un reportage réalisé par le journaliste palestinien pour le canal en arabe de la télévision turque, TRT Arabi, en février dernier. Nous en prenons acte. C’est dans le but d’obtenir tous ces éclaircissements que nous nous sommes adressés à France Télévisions. Mais hormis cet extrait, il ne nous a pas été possible de trouver d’autres interventions de Mohamed Ahmed pour la chaîne turque. Il est certes possibles que certaines nous aient échappé, mais il semble bien qu’il ne s’agisse pas d’un employé de longue date.

En revanche, même si la vidéo n’a pas été tournée officiellement par le Hamas (parler de vidéo du Hamas comme nous l’avions effectivement fait dans notre lettre au médiateur étant donc un raccourci que nous avons d’ailleurs rectifié nous-même en n’utilisant pas cette formulation dans l’article publié sur notre site), les liens de Mohamed Ahmed avec les médias du Hamas sont avérés et encore corroborés par de nouvelles informations que nous avons trouvées.

Ainsi, le 19 décembre 2023, Mohamed Ahmed a été blessé en compagnie d’un confrère, Islam Bader, lors d’une frappe israélienne sur Gaza d’après le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), une ONG américaine.

 

 

Non seulement le CPJ confirme que Mohamed Ahmed travaillait alors comme journaliste pour l’agence Shehab « affiliée au Hamas », mais l’ONG nous apprend qu’il était aussi employé comme photographe par la chaîne de télévision Al-Aqsa – elle aussi « affiliée au Hamas ».

Le CPJ ne fait pas état de lien entre Mohamed Ahmed et TRT à l’époque.

Or la chaîne turque a elle-même couvert l’incident. Le jour-même, TRT Arabi rapportait dans une vidéo diffusée sur X des images des deux journalistes blessés, en expliquant simplement qu’ils avaient été blessés sans donner aucune précision sur l’identité de leurs employeurs. Si l’un des deux hommes avait été alors employé par TRT, la chaîne turque n’aurait eu aucune raison de ne pas mettre en avant ce lien, bien au contraire.

 

 

Décembre 2023, c’était seulement quatre mois avant le reportage. Il est donc certain qu’en pleine guerre à Gaza déjà, après le 7 octobre, Mohamed Ahmed travaillait pour le compte des médias du Hamas.

C’est cohérent avec le fait que, comme nous l’avions montré dans notre premier article, c’est bien en tant que collaborateur de l’agence Shehab que Mohamed Ahmed se présentait lui-même lors d’une interview à la télévision libanaise le 23 octobre, en pleine guerre là aussi. Une collaboration qui remonte au moins à 2017.

Et quatre mois après sa blessure de décembre, il n’aurait plus aucun lien avec l’organisation terroriste ?

Le fait que Mohamed Ahmed ait prêté son concours à d’autres télévisions étrangères (et notamment à France Télévisions) ne l’empêche pas nécessairement de conserver des liens étroits avec les organes d’information du Hamas. Et c’est bien là tout le problème que nous avons voulu soulever dans notre article.

A notre sens, il aurait été nécessaire que les téléspectateurs soient informés a minima des liens professionnels très récents du caméraman avec des organismes aussi problématiques que Shehab Agency et Al Aqsa TV.

C’est pourquoi il nous a paru légitime de nous tourner vers le médiateur de France Télévisions pour lui soumettre les informations en notre possession et solliciter une réponse de sa part. Notre article n’étant, comme nous venons de le démontrer, pas diffamatoire, nous le maintenons sur notre site et sur les réseaux.

InfoEquitable continuera son travail de décryptage de l’information afin de favoriser une couverture honnête et équilibrée du conflit israélo-palestinien. Dans cet esprit, nous publierons volontiers toute réflexion supplémentaire dont France Télévisions voudra nous faire part.

 


© InfoEquitable. Si vous souhaitez reproduire cet article, merci de demander ici une autorisation écrite préalable.

 

Derniers commentaires
  • Après avoir vue différents article ici présents, je me pose la question sur la prise de position de infoequitable.
    Un journaliste, doit avant tout cherché à offrir une information juste, et non imposé son points de vue, hors de ce que j’ai pu lire, vous donnez les parole venant d’Israël comme étant la seul vérité.
    Mais vous oubliez que en participant à cette guerre, son points de vue doit être aussi étudié que les parole du Hamas ( je ne dit pas que le Hamas est dans son droit, mais que l’un comme l’autre manipule l’information dans le sens qui les arranges).
    Il y a très peut de chance que ce message arrive à destination, mais si c’est le cas, je vous demanderais de me communiqué vos sources.
    Désolé, mais les « on dit » ne son pas des sources fiable.

  • Franceinfo devrait attaquer en justice la si mal nommée  » InfoEquitable » qui est de la pure propagande du gouvernement d’extrême droite israelien. Si vous souhaitiez une information équitable vous exigeriez que Netanyahou laisse tous les journalistes et les enquêteurs indépendants entrer dans ce territoire palestinien. Il faut rouvrir les fosses communes à Gaza, identifier les victimes et déterminer comment elles ont été exécutées, recompter les morts puisque vous avez le cynisme de nier les crimes de guerre de masse commis. Douter de cette interminable tuerie planifiée vous met exactement sur le même plan que ceux qui doutent des horreurs du 7 octobre. L' »armée la plus morale du monde », qui a tué plus d’enfants en 4 mois à Gaza qu’en 4 ans de conflits dans le monde, n’a rien à cacher et devrait se réjouir que des journalistes travaillent de nouveau sur place.
     » Et ce n’est pas fini! » comme dirait Meyer Habib.

  • Merci pour votre travail .

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