Des jeunes nageurs rêvant de gloire olympique, mais contraints par l’inexistence de piscines à Gaza de s’entraîner dans une mer tellement polluée que personne d’autre n’ose s’y aventurer : ce récit ne résiste pas à l’examen des faits.
L’eau, sous une forme ou une autre – barrages, piscines, privations durant le Ramadan – est depuis longtemps un sujet utilisé pour porter de fausses accusations contre Israël. En 2015, l’Agence France-Presse (AFP) et Al Jazeera avaient dû rétracter des reportages basés sur de faux rapports selon lesquels Israël avait délibérément inondé la bande de Gaza en ouvrant les vannes de barrages dans le sud du pays (l’organisation de veille médias CAMERA ayant relevé qu’il n’y avait aucun barrage qui puisse avoir cet effet dans la région). En 2008, le journaliste Gideon Levy avait faussement affirmé que le seul endroit en Cisjordanie où les enfants pouvaient apprendre à nager était un parc aquatique décrépi à Jéricho. CAMERA avait démontré qu’il en allait autrement : chaque ville de Cisjordanie possède en réalité une piscine – un fait d’ailleurs rapporté par l’article de Levy lui-même. Le journaliste de Haaretz n’en fut pas ébranlé, puisqu’il récidiva en 2015 en affirmant qu’« il n’y a pas de piscine dans la bande de Gaza » (il y en a).
L’AFP a publié ce 22 octobre un nouvel article « Nageurs et nageuses gazaouis s’entraînent en eaux troubles » sur de jeunes sportifs de Gaza aux ambitions olympiques qui seraient obligés de nager dans des eaux polluées en raison du manque d’infrastructure. En France, l’information a été reprise par La Croix, Libération, le Courrier international, Euronews, Le Point et d’autres médias.
Voici le début de l’article : « Tête la première, une trentaine de filles et garçons palestiniens plongent dans la mer, davantage préoccupés de gloire olympique que de la saleté de l’eau. Ils forment sans doute le seul club mixte de natation à Gaza. Les conditions sont tout sauf idéales pour ces jeunes âgés de 11 à 16 ans, eux torse nu et short blanc et rouge au-dessus du genou, elles en haut coloré à manches longues et legging jusqu’à la cheville, les cheveux découverts quand elles n’ont pas de bonnet de bain. En ce début d’automne la mer Méditerranée, agitée sous le ciel d’azur, ne se prête guère à l’entraînement. Le matériel de natation manque et les détritus jonchent la plage. Ici, à Beit Lahia, comme le long des 40 kilomètres de côtes bordant la bande de Gaza, il faut du courage pour braver la saleté des flots, pollués par des eaux usées. Mais en l’absence de piscines publiques gratuites dans ce territoire palestinien enclavé entre la Méditerranée, Israël et l’Egypte, les jeunes nageurs n’ont guère le choix, explique leur entraîneur, Amjad Tantish, portant chemise à carreaux et chapeau « trilby ». »
Ce que l’article ne dit pas, c’est qu’Amjad Tantish est, d’après sa propre description sur le site de crowdfunding Indiegogo, « un fixeur (NDLR. un professionnel local qui guide les journalistes étrangers sur le terrain) connu qui travaille pour les plus grands organes de presse à Gaza ». Tantish travaille-t-il aussi pour l’AFP, ou l’a-t-il fait par le passé ? L’agence de presse, dont on sait qu’elle a employé un journaliste qui était lui-même partie prenante des sujets qu’il couvrait, ne le dit pas. Lesquels des autres médias (notamment The Independent et l’agence chinoise Xinhua ) qui ont parlé des nageurs de Tantish pourraient travailler avec lui ou l’avoir fait dans le passé, sans le dire ?
Au-delà des questions de transparence et de conflit d’intérêt, un autre travers évident de ce récit est qu’il s’abstient de mentionner que beaucoup des jeunes nageurs que Tantish entraîne à Gaza ont accès à des piscines et s’y entraînent. Une vidéo produite par The Independent rapporte qu’après la guerre de 2014, Tantish a utilisé des débris de bâtiments détruits pendant les combats pour construire une barrière et créer une piscine près de la mer. « Quatre ans après », dit le narrateur de The Independent, Amjad [Tantish] a sélectionné les meilleurs candidats de son programme de natation en mer et utilise maintenant des piscines locales pour ses séances d’entraînement. »
Effectivement, on ne manque pas de photos de jeunes nageurs avec des rêves olympiques s’entraînant dans les piscines de Gaza. Il y a quelques jours, l’AFP elle-même a diffusé des photos de l’agence Anadolu montrant de jeunes athlètes s’entraînant dans des piscines.
Même sur la propre page Facebook de Tantish, on peut trouver des photos de jeunes nageurs s’entraînant dans une piscine de Beit Lahia juste à côté de la mer.
Une autre affirmation de l’AFP n’est guère plus crédible : seul un groupe de nageurs déterminés et désespérés n’ayant pas d’autre option doit se résigner à aller nager dans la mer. L’agence explique : « Ici, à Beit Lahia, comme le long des 40 kilomètres de côtes bordant la bande de Gaza, il faut du courage pour braver la saleté des flots, pollués par des eaux usées. (…) Pour les Gazaouis qui veulent malgré tout pratiquer la natation, la mer au large de Beit Lahia est la moins polluée, selon les experts. » En réalité, profiter de la plage est un passe-temps populaire le long de la côte de Gaza, comme le montrent des photos de l’AFP.
L’agence a même publié un reportage « Jour de plage à Gaza » dans lequel on peut lire que les nageurs « sont nombreux à s’ébattre dans l’eau ».
C’est ainsi que de jeunes nageurs prometteurs de Gaza s’entraînent avec Tantish dans des piscines. D’autres nageurs se réunissent apparemment au moins une partie du temps sur la plage pour ses leçons. En d’autres termes, les principaux présupposés de l’article – premièrement, que les jeunes nageurs de Gaza n’ont aucun endroit où s’entraîner à part la côte polluée et, deuxièmement, que les athlètes sont si désespérés qu’ils nagent dans des eaux où presque personne d’autre n’ose entrer – sont infondés.
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Adaptation d’un article original de Tamar Sternthal « Murky waters: AFP’s story on Gaza swimmers who ‘had to brave the sea’ » publié le 22 octobre 2018 par le Committee for Accuracy in Middle East Reporting in America (CAMERA).