Libération a publié sur sa couverture une photo de manifestant brandissant un faux bébé de Gaza généré par l’Intelligence artificielle. Le directeur de la publication du quotidien concède seulement qu’il aurait « probablement fallu mentionner en légende le fait que l’homme sur la vraie photo brandissait une fausse image ».
« «Libé» s’est-il rendu coupable d’une «fake news» en publiant la vraie photo d’un homme brandissant une image générée par IA ? »
Cette question, c’est Checknews, l’organe de factchecking de Libération, qui la pose, en réponse à « Des internautes [qui] ont reproché à «Libération» une photo illustrant sa une du jeudi 19 octobre : elle montre un manifestant en colère au Caire brandissant l’image générée par IA d’un bébé sous les gravats. »
Le ton défensif est donné dès le titre, puisque l’accent est mis sur le fait que l’illustration choisie est bien une « vraie photo ».
Quant aux « internautes », à qui Libé a préféré ne pas faire l’honneur de les nommer, c’est nous, ainsi que les milliers de relais qui ont donné près de 1 million de vues à notre tweet, obligeant la rédaction à réagir.
Il faut dire que la photo est percutante.
Un bébé palestinien en détresse, des Arabes en colère, et un choix de mots forts : le « spectre de l’embrasement ». De quoi agiter une partie de la population qui, en France, peut être tentée de « venger les bébés palestiniens » comme on le sait trop bien depuis que Mohammed Merah justifia ainsi les assassinats antisémites qu’il commit à Toulouse. D’où notre interpellation du directeur de la publication de Libé, Dov Alfon : « Etes-vous conscient de l’impact d’une telle image choc avec le mot “embrasement” dans le contexte actuel ? ».
Car non seulement le message véhiculé par cette Une était problématique, mais un utilisateur des réseaux sociaux nous alerta rapidement quant au côté suspect de la photo elle-même, et plus précisément de la photo brandie par le manifestant. Après une rapide recherche, il s’avéra qu’elle datait au moins du mois de février 2023, date à laquelle elle avait été utilisée pour représenter une supposée victime de tremblement de terre en Turquie et en Syrie.
La photo en question n’avait donc rien à voir avec les événements actuels de Gaza. Et par conséquent, la Une de Libération était basée sur un faux !
De nombreux internautes remarquèrent aussi les mains du bébé :
Un symptôme typique d’images générées par l’Intelligence artificielle, en l’occurrence probablement avec le logiciel Midjourney qui est à la peine pour créer des mains réalistes.
La partie problématique de la main a opportunément été coupée du cadre de la couverture. Elle apparaissait pourtant bel et bien sur la photo originale, fournie par l’agence Associated Press, et on a du mal à concevoir que ce détail ait échappé aux spécialistes du service photo qui ont conçu la couverture.
Une couverture déjà problématique des événements
Ce fake n’est pas sorti n’importe quand.
Deux jours auparavant, le journal s’était, comme beaucoup d’autres dont l’AFP (mais est-ce une raison ?), empressé de relayer une information du Hamas selon laquelle Israël avait bombardé un hôpital de Gaza et fait des centaines de morts. On sait aujourd’hui que tout est faux, le projectile étant très vraisemblablement selon les services de renseignement occidentaux une roquette lancée par le Jihad islamique palestinien vers Israël mais retombée sur Gaza, et le bilan loin de ces proportions puisque l’engin est tombé sur un parking et non sur l’hôpital lui-même.
Nous pourrions nous lancer dans une grande démonstration pour étayer nos affirmations, mais d’autres l’ont fait et Libé, qui a essayé de se dépêtrer de sa bourde avec un autre article « Checknews » détournant le regard sur… les fakes des réseaux sociaux, en a fait l’aveu en catimini puisque le tweet orignal a été discrètement supprimé (« Ce post n’est pas disponible », est-il indiqué sous le retweet d’Adrien Quaternnens qui n’avait pas perdu de temps pour s’offusquer sur la base de cette information) :
Heureusement, certains utilisateurs de ces mêmes réseaux sociaux ont de la mémoire, et nous sommes en mesure de vous présenter ce que Libé n’assume plus : le tweet supprimé.
C’est dans ce contexte, plus de 24 heures après et alors qu’il apparaissait déjà plus que probable que le bombardement israélien de l’hôpital était un faux fabriqué par le Hamas, que Libé décida de faire sa Une sur les manifestants des pays arabes en colère contre Israël.
A quoi il faut ajouter que, quelques heures après la sortie de cette Une, Libé publia encore un article sur la manifestation pro-palestinienne de la place de la République à Paris. Le journal crut bon d’interroger une « Marocaine de confession juive » revêtue d’un keffieh qui affirmait qu’on tuait des gens au nom… de la religion juive !
Cette dame, si elle existe tant ce portrait est lunaire et en rien représentatif des Juifs, dut certainement se boucher très fort les oreilles pour ne pas entendre le public du rassemblement scander Allahu akbar, comme cela fut révélé dans des vidéos sur les réseaux sociaux (encore eux). Et ce n’était pas de l’hébreu. Libé en fit autant puisque ce détail ne fut pas mentionné dans l’article.
La réponse du directeur de la publication Dov Alfon
La défense de Libé est la suivante.
Oui, l’image du bébé a été générée par l’Intelligence artificielle. C’est dur à nier, au regard des mains.
Mais l’IA, plaide Dov Alfon, « devient ces derniers mois le socle artistique de protestations, comme auparavant l’étaient des pantins, poupées ou squelettes. » Nous ne sommes pas experts en art, mais il nous semble bien qu’un pantin ou un faux squelette peut être perçu comme un symbole, tandis que la photo est inévitablement comprise comme l’instantané d’un événement. Même truquée, une photo a une dimension factuelle que n’ont pas les autres objets.
Cette focalisation de la réponse sur l’IA, par ailleurs, permet d’écarter le fait qu’une image réelle aurait pu être tout aussi problématique. Le vrai problème est que cette image n’a pas été prise le 17 octobre 2023 à l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza. Artificielle ou pas, elle n’est pas conforme à ce qu’elle est sensée représenter.
Le directeur de la publication ajoute : « Le centre de la photo est le manifestant en colère, pour qui la vérité importe peu ».
Mais alors, la vérité en couverture d’un journal, ce n’est pas important ? Dans ses colonnes, Libé précise bien que les manifestants ont hurlé leur colère au Proche-Orient « après la destruction de l’hôpital Al-Ahli Al Arabi de Gaza ». Pourtant cette destruction par Israël et le massacre ne sont pas avérés. Le journal pense-t-il que c’est une bonne idée d’amplifier n’importe quel cri de colère sans se soucier de la véracité de la cause défendue ?
Dov Alfon dégage ensuite ses équipes de la responsabilité de vérifier ce qui parait sur une photo de couverture, parce qu’il est plus utile de mobiliser les fact-checkers sur la vérification des faits eux-même. Et de se lancer des lauriers :
« Rappelons que le même jour, huit journalistes de Libération se sont plongés dans les images de la tragédie de l’hôpital Al-Ahli Arabi à Gaza, nous permettant d’apporter à nos lecteurs dans le même journal toutes les preuves qui nous permettaient de pointer une roquette défaillante comme source de l’explosion plus probable qu’une bombe israélienne. Basé sur l’examen de plus de vingt sources iconographiques et publié en un temps record, ce genre de travail journalistique nous semble plus important que la vérification de fakes de propagande. »
Les fakes de propagande en couverture, ce n’est pas grave, donc !
De toute façon, nous l’avons vu, Libé a d’abord relayé sans recul les dires du Hamas en présentant un massacre résultant du bombardement israélien d’un hôpital. Ce n’est qu’ensuite que, devant les nombreuses incohérences qui apparurent rapidement sur ces allégations, le journal enquêta et reconnut qu’Israël devait très probablement être disculpé. Les dégâts étaient faits, et la couverture, même en indiquant en petites lettres que « rien ne semble indiquer qu’Israël soit responsable de la frappe », allait dans le sens de… l’embrasement.
N’ayant jusque là reconnu aucun tort, le directeur de la publication de Libé conclut avec une bien modeste concession :
« Aurait-il fallu, alors, mentionner en légende le fait que l’homme sur la vraie photo brandissait une fausse image ? «Probablement oui», indique Dov Alfon, «mais la légende de l’agence AP ne l’a pas mentionné, soit par omission soit par manque de temps, et nous de même. C’est évidemment regrettable». »
Notez le soin mis à préciser que la photo complète est vraie, comme si cela excluait le problème déontologique posé par la présence d’un faux élément à l’intérieur.
Non seulement c’est le journal qui est responsable de ce qu’il publie et pas l’agence de presse à qui il achète la photo, mais il n’y a de place que pour une légende succincte sur la Une. Le cliché d’agence d’Associated Press portait la légende « Egyptian protesters shout anti-Israel slogans during a demonstration to show solidarity with Palestinians, in front of the Journalists Syndicate in Cairo, Egypt, Wednesday, Oct. 18, 2023. (AP Photo/Amr Nabil) » (Des manifestants égyptiens clament des slogans anti-israéliens lors d’une manifestation de solidarité avec les Palestiniens, devant le Syndicat des journalistes au Caire, en Égypte, mercredi 18 octobre 2023. (AP Photo/Amr Nabil)). Sur le Une de Libé, la légende en lettres minuscules sur la tranche gauche que de toute façon presque personne ne lit, et en tout cas pas les acheteurs qui parcourent du regard les gros titres en kiosque, est devenue « Au Caire, mercredi. PHOTO AMR NABIL. AP ». Il n’y a pas la moindre explication de contexte et c’est certainement la pratique standard. Et puis, imagine-t-on vraiment une légende du type « Au Caire, mercredi, un manifestant brandit une fausse image de bébé. PHOTO AMR NABIL. AP » ? La concession de ce léger manquement semble être avant tout destinée à apaiser les critiques à peu de frais.
Libé n’en est pas à son coup d’essai
Nous ne pouvons pas conclure sans rappeler que l’un des premiers succès d’InfoEquitable fut, déjà, la dénonciation du recadrage trompeur d’une photo à la Une de Libération en 2017. Le journal donnait l’impression qu’une soldate tenait en joue un vieillard palestinien; en réalité, la scène était beaucoup plus complexe et le monsieur avait lui-même posé la main sur l’arme de la policière à qui il parlait.
Déjà un titre choc, déjà une photo recadrée pour donner l’illusion d’une agressivité israélienne excessive…
Et déjà, la rédaction du journal s’était mobilisée pour défendre son choix sans reconnaître de véritable problème.
Plus anciennement encore, nombreux sont les observateurs qui n’ont pas oublié cette Une de 2000, dans laquelle Libé avait carrément fait passé un Juif victime de violences palestiniennes pour une victime palestinienne.
Espérons que la série s’arrêtera là, mais InfoEquitable gardera l’oeil ouvert !
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Huss.K / 3 décembre 2023
Sinon, info »équitable » a t’il enfin mené son enquête sur les 40 bébés décapités et sur le fœtus enfourné?
On est un peu perdu là. Help!
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