L’attaque meurtrière d’une synagogue aux Etats-Unis a dans l’ensemble été correctement décrite comme un attentat antisémite. Mais ses suites ont donné lieu à plusieurs cas d’approximations, voire de récupération, dans la presse. En voici quatre exemples.
1. Trump persona non grata à Pittsburgh ?
Plusieurs médias ont affirmé que Donald Trump n’était pas le bienvenu dans la communauté juive de Pittsburgh, sous-entendant qu’il serait responsable d’un climat favorable au racisme dont l’attentat – commis pourtant par un néo-nazi qui haïssait non seulement les Juifs, mais aussi le président américain auquel il reprochait justement sa proximité avec eux – serait un aboutissement.
Pour France Info, par exemple :
Reuters titrait sur le même registre (30 octobre à 2h54) :
Mais quelques heures plus tard, à 6h55, Reuters ne mettait plus en évidence « la communauté juive » dans le titre actualisé : « Donald Trump arrive à Pittsburgh sur fond de polémique ».
D’où venait cette « polémique » dont la plupart des médias se sont faits échos ? Reuters donne la réponse :
Dans une lettre ouverte adressée au président américain, l’association juive Bend the Arc écrit: « Vous n’êtes pas le bienvenu à Pittsburgh tant que vous ne dénoncerez pas fermement le nationalisme blanc ».
Ce que plusieurs médias importants ont identifié comme représentant « la communauté juive » était donc une association, Bend the Arc. L’association se présente comme juive ; mais son action est avant tout politique. Bend the Arc n’hésite pas à collecter des fonds pour Linda Sarsour, une activiste musulmane américaine qui œuvre pour remplacer l’Etat juif par un Etat palestinien musulman : une position antisémite (puisque menaçant l’existence de la plus grande communauté juive de la planète) qui ne reflète bien évidemment pas le souhait de la majorité de la communauté juive américaine. Sur son site, Bend the Arc ne s’en cache d’ailleurs pas : à quelques jours des élections de mi-mandat, son objectif est de « stopper Trump » en battant ses candidats au Congrès.
Ce sont donc des activistes politiques, opposants au président, qui ont créé la « polémique ». Ce sont eux qui ont rassemblé 1500 manifestants (selon les médias) dans cette agglomération de 2 millions d’habitants. Leur opinion existe au sein de la communauté, mais on ne peut pas dire que l’ensemble de la communauté juive de la ville et ses leaders aient partagé cette hostilité contre le président. Le rabbin de la synagogue visée, Jeffrey Myers, a au contraire exprimé le sentiment inverse : « La communauté serait heureuse de la présence [du président Trump] ici, puisqu’il est notre président… [La fureur antisémite] n’a rien à voir avec la politique en Amérique. C’est de la haine. »
2. Le grand-rabbin d’Israël a-t-il vraiment méprisé les Juifs tués en raison de leur tendance religieuse plus libérale ?
Le drame américain a fourni l’occasion à certains journalistes de dénoncer l’apparente bigoterie des Juifs religieux israéliens, personnifiée par le grand-rabbin ashkénaze du pays David Lau accusé de déconsidérer les victimes américaines parce qu’elles n’appartenaient pas au même courant religieux que lui.
Ainsi, le correspondant de Libération, Guillaume Gendron, a écrit :
Le grand rabbin ashkénaze d’Israël s’est refusé à qualifier le lieu de l’attaque de «synagogue», car l’Etat hébreu ne reconnaît pas les courants libéraux du judaïsme. Dans une rare rebuffade, le Premier ministre s’est démarqué de cette posture [gras ajouté par nous].
Il existe effectivement des dissensions entre les courants orthodoxes du judaïsme, partisans d’un strict respect des règles religieuses et d’où proviennent exclusivement les grand-rabbins d’Israël, et les courants réformés, partisans d’une évolutivité de la religion, majoritaires aux Etats-Unis et dont fait partie la synagogue attaquée à Pittsburgh (qui appartient plus précisément au courant « conservateur », appelé « massorti » en France).
Guillaume Gendron n’a pas inventé cette histoire. C’est en Israël, dans le journal de gauche Haaretz, qu’est né le récit du refus rabbinique et de la rebuffade ministérielle, repris ensuite par des journaux étrangers (Newsweek, New York Times…) qui ont voulu y voir le symptôme d’une rupture grandissante entre des Juifs israéliens intolérants face à leurs frères américains éclairés.
Mais au départ, c’est au le journal israélien Makor Rishon que le grand-rabbin avait donné une interview. Or, ce sont les questions de l’interview qui ont cherché à provoquer une réponse déplacée du grand-rabbin, et c’est une partie de sa réponse elle-même citée hors contexte qui a donné lieu aux interprétations des médias.
Voici comment commençait l’interview du grand-rabbin :
« Je dirai une chose simple : chaque meurtre d’un Juif aux quatre coins du monde à cause de sa judéïté est impardonnable, c’est un crime qu’il est impossible de laisser faire. » Cette déclaration sans équivoque a été faite par le grand-rabbin David Lau lors d’une conversation avec Makor Rishon, après le massacre à la synagogue Etz Chaim à Pittsburgh, en Pennsylvanie, samedi.
Le rabbin Lau a catégoriquement rejeté le vif débat animant les réseaux sociaux et les médias à propos du courant conservateur du judaïsme auquel les victimes appartenaient et a appelé à son arrêt. « Quel est le rapport? », a déclaré le rabbin : « Il n’y a pas de raison d’impliquer ce problème ici. Nous parlons de Juifs qui ont été assassinés parce qu’ils étaient Juifs. Quelle est la question ? Il n’y a pas à parler de leur affiliation. Ils ont été tués parce qu’ils étaient juifs ! Est-ce que la synagogue qu’ils fréquentaient ou le texte des prières qu’ils récitaient ont la moindre importance ?
Dans la dernière phrase, mise en gras par nos soins, le grand-rabbin a clairement désigné le lieu de l’attaque comme une synagogue.
Makor Rishon continue néanmoins l’interview en soumettant au rabbin le cas de courants ultra-orthodoxes (« harédi »), très opposés aux courants réformés dont ils contestent effectivement fréquemment la judéité :
Makor Rishon: Les médias harédi ont refusé de se référer à Etz Chaim comme une synagogue conservative, la qualifiant au mieux de « centre juif ».
Rabbin Lau : Suis-je un porte-parole des médias ?! Tout ce que je peux dire, et répéter, c’est ce que j’aime ou je n’aime pas, ce que j’apprécie ou non à propos de choses qui ont été publiées. Je suis au courant de ce qu’ils écrivent, et parfois je sais que ce qu’ils écrivent est déconnecté de la réalité. Je le répète : ce sont des Juifs et nous ne devons pas tirer parti de ces moments inutilement. Ne pas se servir de choses douloureuses. Ce n’est pas du tout le problème. J’ai un désaccord idéologique difficile avec eux sur le judaïsme, son passé et ses implications pour l’avenir du peuple juif à travers les générations. Et alors ?! Alors à cause de cela ils ne seraient pas juifs ?!
L’interview se poursuit et le journaliste essaie de pousser le rabbin dans ses retranchements :
Makor Rishon : Mais alors est-ce que c’est une synagogue ?
Rabbin Lau : Des Juifs ont été assassinés dans un endroit que l’assassin considérait être un endroit avec un profond aspect juif. Un endroit avec des rouleaux de la Torah, des Juifs portant des châles de prière, il y avait des livres de prières, il y avait des gens qui étaient venus sentir la proximité de Dieu. C’est pour cela que l’assassin est venu tuer à cet endroit plutôt qu’ailleurs. C’est pourquoi nous ressentons douleur et colère.
Le rabbin déclare donc sa complète solidarité avec elles en tant que Juifs et qui dit que la spécificité de la synagogue visée n’a aucune importance, puisqu’elle a été visée pour son caractère juif. Est-ce vraiment un affront envers les victimes, quand bien même le rabbin reconnaît ses divergences idéologique avec elles ?
Quant au tweet du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui ne fait pas de mention explicite du grand-rabbin Lau, était-il vraiment une « rebuffade » ? Sur le fond, il semble être sur la même ligne que les propos du grand-rabbin, en déplorant le fait que les victimes ont été tuées parce qu’elles étaient juives, dans un endroit choisi pour cette raison : une synagogue.
Tout cela n’amoindrit pas les divergences profondes entre le rabbinat officiel israélien et les communautés juives réformées prépondérantes aux Etats-Unis. Mais y avait-il vraiment matière à insister dessus de cette manière à l’occasion de ce triste événement, et à garnir les pages de la presse internationale de cette « polémique » ?
L’agence de presse Jewish Telegraphic Agency (JTA), qui faisait partie des médias ayant relayé la fausse information, a en tout cas eu l’honnêteté de corriger l’erreur :
3. Des musulmans américains solidaires ?
Une campagne de crowdfunding a été organisée par des organisations à but non lucratif de musulmans américains pour venir en aide aux survivants et proches des 11 personnes tuées lors de l’attaque de la synagogue de Pittsburgh.
L’article a été partagé 12,000 fois sur France Info. C’est considérable. Le public semble touché par cet élan de solidarité…
A l’origine de cette initiative ? Les organisations CelebrateMercy, fondée par Tarek el-Messidi et MPower Change, co-fondée par Linda Sarsour.
Elan sincère ? Il est permis d’en douter. Le même phénomène avait été observé lorsqu’un cimetière juif avait été profané en 2017 à Saint-Louis, dans l’état du Missouri (l’auteur fut ultérieurement arrêté et poursuivi pour vandalisme, mais pas pour crime de haine ; néanmoins, à l’époque, l’affaire avait fait grand bruit, les médias agitant la crainte d’une montée de l’antisémitisme et la liant souvent à l’élection de Donald Trump).
El-Messidi et Sarsour, les deux mêmes activistes proéminents, se trouvaient déjà derrière la campagne de « soutien » à la communauté juive de Saint-Louis. InfoEquitable s’était à l’époque penché sur les auteurs de ce coup médiatique.
Linda Sarsour en particulier est bien connue. Comme nous l’expliquions, c’est une activiste palestinienne et américaine proche des Frères musulmans et du Hamas, qui soutient le BDS (mouvement de boycott d’Israël dont les dirigeants ne cachent pas leur objectif d’éliminer ce pays), considère que « rien n’est plus épouvantable que le sionisme » (c’est-à-dire le droit à l’auto-détermination du peuple juif) et promeut explicitement la charia. Pas vraiment une amie des Juifs ! Active au sein du parti démocrate, elle ne cache pas ses véritables motivations bien peu altruistes : faire en sorte que les non-musulmans qui reçoivent l’aide de ces activistes se sentent ensuite reconnaissants : « ils seront les plus ardents soutiens et les meilleurs défenseurs de l’islam contre l’islamophobie ».
Désormais, à chaque fois qu’un acte antisémite se produit aux Etats-Unis sans que son auteur soit islamiste, la récupération bat son plein. Beaucoup de gens bien intentionnés ont envie de croire à cet élan fraternel désintéressé et ne voient pas que, derrière l’écran de fumée, se trouvent des islamistes anti-juifs dont la lutte affichée contre l’antisémitisme n’est qu’un outil pour désarmer les bonnes âmes face au réel danger qu’ils représentent. Et tout ceci grâce à la complicité de médias qui offrent une publicité gratuite aux manipulateurs qui instrumentalisent la peine de ces Juifs qu’ils haïssent pour faire avancer leurs objectifs.
4. Une hausse galopante de l’antisémitisme aux USA ?
Des chiffres de l’Anti-Defamation League (ADL) ont été largement cités pour affirmer que le taux d’actes antisémites avait explosé depuis l’année dernière aux Etats-Unis ; ce qui désigne aux yeux de nombres de commentateurs l’avènement de Donald Trump comme une cause majeure de dégradation de la situation sécuritaire des Juifs américains.
Le Journal de 20h de France 2 du 29 octobre s’en est fait l’écho :
Selon un recensement de la ligue anti-discrimination ADL, les actes antisémites ont augmenté de 57% l’an dernier avec 1 986 faits ont été recensés. Ce sont surtout les menaces et harcèlements qui sont en hausse, avec 1015 cas en 2017. Les agressions, elles, ont diminué de moitié, passant de 36 à 19 cas.
On peut se demander si une statistique sur une période aussi courte, un an, peut permettre de tirer des conclusions sur une évolution en profondeur de la société. Le chiffre des 57% d’augmentation a en tout cas retenu l’attention des médias (comme cette dépêche de l’Agence France-Presse, et cet article un peu plus ancien du Figaro qui a même pris la liberté d’arrondir les 57% à 60%…).
Dans Tablet Magazine, David Bernstein note cependant que la dernière partie de la statistique est particulièrement importante : « malgré une hausse de 57% du total des incidents, de 1267 à 1986, l’étude de l’ADL montre une baisse de 47% des attaques physiques, de 37 à 19. Cela ne correspond visiblement pas à l’idée selon laquelle les violences antisémites auraient fortement augmenté en 2017. Les attaques physiques sont en outre les types d’incidents les plus objectifs inclus dans ce document, ce qui fait d’autant plus douter de la consistance du reste des données. »
Un autre observateur, David Gerstman, a remarqué sur le site Legal Insurrection qu’il y avait lieu de penser que cet accent mis sur la hausse des incidents était intentionnel de la part du leadership de l’ADL : « Le président de l’ADL, Jonathan Greenblatt, a déformé les résultats du rapport il y a seulement deux jours dans le New York Times, en affirmant que le rapport de l’ADL avait relevé une hausse de 57% des incidents antisémites en 2017. Il a ajouté de manière d’ailleurs assez trompeuse que ces chiffres comprenaient les « attaques physiques », alors qu’on peut supposer qu’il comprend que le rapport a en réalité fait état d’une baisse importante des attaques physiques. »
Les chiffres du rapport de l’ADL eux-mêmes sont sujets à caution. On se souvient que les médias avaient donné un large écho à des alertes à la bombe lancées contre des centres communautaires dans les mois qui ont suivi l’élection de Donald Trump. Mais voilà : un très grand nombre de ces menaces, 150 cas au moins, avaient été causées par un seul individu, un jeune génie de l’informatique israélien mentalement instable qui avait fini par être arrêté (sans compter 8 autres alertes perpétrées par un « imitateur » américain qui entendait mener une vengeance amoureuse). C’est écrit en toutes lettres dans le rapport de l’ADL : « Des institutions juives, comprenant des écoles juives, centres communautaires et musées ainsi que des synagogues, ont été les cibles de 342 incidents antisémites en 2017. C’est une augmentation de 101% par rapport aux 170 incidents enregistrés en 2016. Néanmoins, ce chiffre inclut 163 alertes à la bombe lancées durant le premier trimestre de l’année, dont la grande majorité auraient été perpétrées par un adolescent juif perturbé situé en Israël. En excluant ces alertes à la bombe, le nombre total d’incidents ayant ciblé des institutions juives est de 179, une augmentation de 5% par rapport aux 170 incidents ayant visé ces lieux en 2016. (…) L’ADL a inclus ces alertes à la bombe dans le décompte total parce que, quelles que soient les motivations d’un auteur particulier, les communautés juives ont été traumatisées de manière répétée par ces attaques contre leurs institutions et ces menaces contre leur sécurité. »
Ce n’est pas le seul biais d’un rapport qui réalise l’exploit de traiter d’antisémitisme sans mentionner une seule fois l’islam radical, l’anti-sionisme et le mouvement BDS de boycott d’Israël. Pourtant, aux Etats-Unis comme ailleurs, ce sont les sources de graves dangers qui pèsent sur les Juifs. La seule mention faite des musulmans vante l’opération de relations publiques menée à Saint-Louis par les activistes islamistes dont parle la troisième partie de notre article. La couverture du rapport braque d’ailleurs les projecteurs sur un seul type de menace, les suprémacistes blancs auxquels se rattachait le tueur de Pittsburgh.
Cet angle de vue se retrouve tout au long du rapport, qui dénombre les cas de propagande par des suprémacistes blancs sur les campus :
En revanche, aucun chiffre n’est donné sur le nombre d’incidents liés par exemple au mouvement BDS de boycott d’Israël, dont on sait qu’il est très actif sur les campus universitaires américains où des étudiants juifs se font lourdement harceler. Impossible de savoir combien des actes répertoriés ont été perpétrés par des musulmans, des activistes d’extrême gauche ou des militants anti-israéliens. Tout est fait pour laisser entendre que Donald Trump se confond avec l’extrême droite et crée un climat favorable à l’antisémitisme néo-nazi, et agiter l’épouvantail d’un retour des « années 30 » quand d’autres menaces mettent aujourd’hui autant, sinon plus, les Juifs américains en danger.
Tout ceci à une explication, qu’aucun grand média qui se réfère à l’ADL comme source ne donne. L’ADL lutte depuis plus d’un siècle contre l’antisémitisme et les autres discriminations aux Etats-Unis. Mais, comme l’explique un récent article de Seth Mandel, son actuel président, Jonathan Greenblatt, est un ancien membre de l’administration Obama qui semble donner une dimension politique et partisane à son action. En orientant, si besoin, la présentation des statistiques pour servir ses objectifs…
L’antisémitisme est bien sûr une menace grave aux Etats-Unis. Les récents événements le prouvent. L’empressement des médias à le lier à la nouvelle administration quitte à faire un usage discutable des statistiques n’est pas nécessairement la bonne grille de lecture; ce d’autant que l’assassin néo-nazi de Pittsburgh était lui-même opposé à Donald Trump et que, comme en France, l’extrême gauche et les islamistes sont deux autres terreaux important de haine anti-juive qu’il ne faut pas négliger.
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Image : capture d’écran YouTube France 24