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RFI supprime un reportage problématique sur le traitement de déchets israéliens en Cisjordanie

L’auteure du reportage affirmait que les cancers et les maladies neurologiques et respiratoires grimpaient en flèche en Cisjordanie à cause du traitement des déchets électroniques israéliens. Contacté par InfoEquitable, le médiateur de RFI a reconnu que la journaliste aurait dû mentionner des sources à l’appui de cette affirmation, et la bande son a été supprimée. Le reportage a par la suite été intégralement réécrit… puis finalement purement effacé du site, quelques mois plus tard.

 

Radio France internationale (RFI) a publié le 3 février un reportage de sa correspondante Marine Vlahovic portant sur les déchets électriques et électroniques israéliens dont de grandes quantités sont exportées vers quelques villages palestiniens de la région de Hébron, où les matières comme les métaux qui ont de la valeur sont récupérées tandis que le reste est brûlé dans des conditions dangereuses pour l’environnement et la santé.

 

 

Le problème est tout à fait intéressant, et symptomatique d’une réalité globale dans laquelle les pays développés exportent leurs biens de consommation usagés vers des pays moins avancés où les normes sanitaires insuffisantes et les équipements inadaptés engendrent de graves problèmes pour les populations qui vivent de leur démantèlement.

Dans le reportage au titre accusateur pour Israël, aucun Israélien n’avait la possibilité de s’exprimer.

C’est, nous disait Marine Vlahovic, « faute de permis de travail en Israël » que Bassem el-Assoud, l’un des Palestiniens interviewés, avait dû devenir recycleur. Un métier pratiqué avec des protections dérisoires (« des gants de jardinier »…) selon la journaliste qui précisait : « Une fois traités, le cuivre et l’aluminium repartent en Israël, mais le plastique et les métaux lourds restent en Cisjordanie ». On apprenait ensuite par la voix d’un Palestinien collaborateur d’une ONG italienne oeuvrant pour améliorer les conditions de travail sur place que « ces métaux s’infiltrent dans le sol et dans les eaux souterraines, il y a un risque d’impact sur la santé des habitants et même des animaux. »

Marine Vlahovic enchaînait alors sur cette conclusion :

 

« Avec un impact très direct : les cancers ainsi que les maladies neurologiques et respiratoires grimpent en flèche dans la région. »

 

Un lien de causalité certain était ainsi établi entre une pollution causée par des déchets d’origine israélienne et une épidémie de graves pathologies dont serait frappée la population palestinienne. Surpris par cette affirmation péremptoire sans qu’aucune source à cette information ne soit indiquée, InfoEquitable a écrit au médiateur de RFI en demandant les références de cette source. 

 

La source

Le médiateur de RFI a bien voulu nous répondre, en indiquant dans un message du 10 février que « Le lien direct entre les déchets électroniques et les cancers est établi par une étude de John Michael Davis et Yaacov Garb publiée dans l’International Journal of Cancer en 2018. »

 

 

Cette étude a été réalisée sur la base de données recueillies entre 1998 à 2007. Les deux chercheurs universitaires, le canadien Davis et l’Israélien Garb, ont établi une incidence accrue des lymphomes (types de cancers) observés chez les enfants vivant aux environs des sites palestiniens où sont brûlés des déchets électroniques.

Nous avons superposé ci-dessous la carte de l’étude de Davis et Garb à une carte de l’ensemble de la Cisjordanie / Judée-Samarie tirée de Google Maps. En noir figurent les sites où sont brûlés la plupart des déchets électroniques. La zone coïncide assez bien avec le petit rond pointillé rouge, qui représente un espace de 10 à 15 kilomètres de diamètre (y compris une petite partie de territoire israélien adjacent) où ces taux de cancers infantiles sont accrus.

 

 

On le voit, il s’agit d’une pollution assurément très grave. Elle n’est cependant pas généralisée à toute « la région ». Quant aux autres maladies – neurologiques et respiratoires – évoquées par Marine Vlahovic, leur prévalence accrue autour des sites d’incinération de déchets est très plausible mais pas traitée dans cette étude.

 

Blocages

Dans une interview de 2017, John Michael Davis – qui a étudié le commerce « nord-sud » des déchets électroniques et comparé avec Yaakov Garb le cas palestinien à celui du Ghana – précise que « le cas israélo-palestinien représente dans un certain sens un microcosme des flux de déchets électroniques depuis les pays développés vers les pays en voie de développement ». Il explique qu’« Israël ne largue pas ses déchets – les Palestiniens les importent dans le cadre d’une économie informelle ».

Davis et Garb ont mis sur place un programme avec les Palestiniens pour améliorer les conditions de traitement des déchets, avec le soutien de la Suède. La revue Nature s’y est intéressée en 2016 dans un article encourageant : « De vieux ordinateurs peuvent-ils rassembler Palestiniens et Israéliens ? »

 

 

L’un des objectifs du programme était de retraiter les sols contaminés dans une usine spécialisée en Israël. Il y avait aussi eu des progrès de réalisés en 2017 avec la réduction de la quantité de déchets brûlés et de nouveaux processus de tri.

Mais en 2019, tout ceci était en suspens et le New York Times donnait cette raison : « Les responsables palestiniens n’ont pas autorisé le transfert de terre contaminée vers la principale installation israélienne de traitement des déchets dangereux. »

Une information confirmée par Haaretz : « A l’issue de la première étape, le gouvernement suédois a accepté de fournir davantage de fonds mais l’Autorité palestinienne s’est opposée à ce que le concept même de déchets israéliens soit placé sous sa juridiction ».

Le New York Times ajoutait que « le financement du Département d’État américain pour une évaluation des risques sanitaires et environnementaux a été réduit cette année, suite à l’adoption d’une loi américaine qui soumet les entités étrangères qui acceptent l’aide américaine à la juridiction des tribunaux américains pour les poursuites liées au terrorisme. Plutôt que de risquer la responsabilité des versements aux terroristes palestiniens, l’Autorité palestinienne a rejeté toute l’aide américaine, interrompant le financement de millions de dollars pour des projets dans les territoires. »

C’est donc au moins en partie l’Autorité palestinienne qui a fait obstruction au traitement du problème. De cela, Marine Vlahovic ne voulait rien dire !

 

RFI décide de supprimer la bande son

Dans son message à notre attention, le médiateur de RFI poursuit :

 

Malgré les garanties de sérieux et de fiabilité que présente cette étude, l’auteure de l’article aurait dû la citer au lieu d’adopter le mode affirmatif.

Sur ce point, vous avez entièrement raison.

Malheureusement, Marine Vlahovic ne travaille plus pour RFI. Nous ne pouvons donc pas lui demander de modifier son papier. Nous ne pouvons pas non plus modifier nous-mêmes un papier qui porte sa signature. La rédaction a donc décidé de dé-publier le papier.

 

En plus du retrait de la bande son, l’introduction écrite au reportage a été modifiée pour supprimer la référence au « sud de la Cisjordanie devenu, ces dernières années, une vaste décharge remplie de déchets électroniques israéliens ».

 

 

Reste que le texte modifié continue de faire référence à des « traités internationaux qui interdisent le transfert des déchets dangereux dans un autre pays », dont Israël serait « en violation totale ».

Là non plus, aucune source n’est donnée par RFI. On pense à la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, traité international conçu afin de réduire la circulation des déchets dangereux entre les pays. Réduire, pas interdire, et la convention n’a pas été signée par tous les pays du monde (et a fortiori pas par les Palestiniens qui ne disposent pas d’un Etat…). Il reste visiblement là une autre phrase à l’emporte-pièce qui a pour effet de diaboliser Israël.

Le titre a également évolué : les déchets israéliens n’y sont plus décrits comme « dangereux » (pourtant ce n’est pas leur dangerosité qui est douteuse, mais la question de savoir si le danger ne vient pas aussi de la manière dont ils sont pris en charge) :

 

 

L’idéal aurait été que le reportage ait pu être complété, plutôt qu’effacé en laissant sur une fausse impression les auditeurs qui l’ont entendu une semaine auparavant.

S’agissant de la cinquième fois qu’InfoEquitable dénonce un reportage militant de Marine Vlahovic (1, 2, 3, 4…) sur différentes antennes, nous prenons cependant bonne note que celle-ci ne travaille plus pour RFI.

Et nous adressons tous nos remerciements au médiateur et à la rédaction de RFI pour avoir pris en compte nos remarques en décidant la dé-publication du reportage.

 

Mise au point du médiateur de RFI (18/02/20)

A la suite de la parution de notre article, le médiateur de RFI a tenu à nous adresser cette mise au point que nous publions conformément à son souhait :

 

Vous m’avez saisi au sujet d’un reportage sur les déchets israéliens en Cisjordanie. Je vous ai répondu en toute franchise et en toute transparence.

Nous avons effectivement eu tort de ne pas citer nos sources et nous l’avons reconnu.

Vous avez utilisé cette réponse pour rédiger un long papier vengeur dénigrant notre ancienne correspondante à Ramallah et qui fleure bon le règlement de comptes.

Je trouve le procédé inacceptable et contraire à l’esprit de la médiation.

Je tiens à préciser que ma réponse n’était en aucun cas un désaveu de notre ancienne correspondante à Ramallah qui n’a pas démérité et qui a toute notre confiance.

Je vous remercie de publier cette mise au point

 

Epilogue : le reportage intégralement réécrit

Le 21 février, la page web du site de RFI où apparaissait le reportage a une nouvelle fois été complètement remaniée. Pas de nouvelle bande son, mais une réécriture intégrale du texte par l’ancienne correspondante de la radio.

Cette fois-ci, les déchets n’envahissent plus toute la région, mais uniquement « le sud de la Cisjordanie » (ce qui est encore bien large…).

 

 

Et la journaliste donne une profusion de sources pour appuyer ses propos.

Développement très positif, Marine Vlahovic est allée interviewer le chercheur qui fait référence sur cette problématique, Yaakov Garb. Lequel a confirmé le développement des cancers dans les villages entourant les lieux où se fait le recyclage, par opposition justement au reste de la Cisjordanie (des taux de lymphomes infantiles au moins « quatre fois plus élevés que dans le reste de la Cisjordanie »). Deux autres chercheuses ont également été consultées et confirment elles aussi « une aberration chromosomique plus importante à Idhna que dans d’autres villes de Cisjordanie ». Concernant les maladies neurologiques, une source apparait enfin puisque la journaliste cite également une troisième étude émanant de deux ONG, que nous n’avons pas retrouvée mais qui établit apparemment « la hausse des cancers, des maladies respiratoires et neurologiques, entre autres, en mettant en évidence la forte présence de métaux lourds à Idhna et aux alentours ».

Restent quelques points qui nous interpellent dans la nouvelle mouture du texte. Marine Vlahovic étaye par exemple son accusation de violation par Israël d’un traité qui stipule que le transfert de déchets dangereux dans un autre pays est illégal, en précisant comme nous le supposions qu’elle fait référence à la Convention internationale de Bâle. Mais l’amendement qui interdit globalement ce transfert depuis des pays de l’OCDE vers des pays en développement vient tout juste d’entrer en vigueur fin 2019, et il comporte une condition : le pays importateur et le pays exportateur doivent avoir ratifié la disposition. Or la Cisjordanie n’est pas un pays, ce qui rend forcément le cas complexe…

Et puis il y a la conclusion. L’étude épidémiologique appelée de ses voeux par le professeur Garb est, dit le texte, « un projet entamé par le professeur, mais encore balbutiant. Cette étude devait être financée par les États-Unis, qui ont suspendu tous leurs programmes d’aide aux Palestiniens en 2019. » C’est exactement ce que nous faisions remarquer dans notre critique initiale – sauf que nous expliquions pourquoi les Etats-Unis avaient pris cette mesure : une loi américaine interdit de subventionner des entités étrangères liées au terrorisme; et tant que l’Autorité palestinienne continue à récompenser financièrement les auteurs d’attentats anti-israéliens, à hauteur de plusieurs millions de dollars par an, les Etats-Unis appliquent des restrictions à son égard. Elle n’est donc pas fausse, cette nouvelle conclusion de l’article sur le site de RFI; mais elle n’est pas aussi juste qu’elle devrait l’être, si l’information complète était donnée…

On peut regretter aussi l’absence de traçabilité pour les auditeurs : pas de correctif à l’antenne, aucune mention sur le site permettant de comprendre que la chronique a été profondément modifiée.

Quoi qu’il en soit, le nouvel article est une réelle amélioration. Et cela n’a été possible que parce qu’InfoEquitable a publiquement pointé le manque de sources et les raccourcis du reportage original.

 

Post scriptum: durant l’été, RFI supprime finalement l’article de son site.

Une fois l’orage passé, RFI s’est encore ravisée : dans le courant de l’été, la version révisée de l’article, qui était encore en ligne début juin 2020, a à son tour été supprimée du site. En date du 3 septembre 2020, la page qui l’avait abritée était vide :

 

 

Le public n’a désormais plus accès au reportage…

 

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Photo : CC BY-ND 2.0 Flickr

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