Le journal allemand Die Welt a reconstitué le circuit d’approvisionnement en nitrate d’ammonium de la milice libanaise. En 2013 et 2014, le Hezbollah a pris livraison de centaines de tonnes de cet explosif fourni par ses mentors iraniens.
Près de trois semaines après l’explosion qui a ravagé Beyrouth, on ne sait toujours pas pourquoi 2750 tonnes de nitrate d’ammonium étaient stockées depuis des années dans l’un des hangars du port.
La presse française, elle, est passée à autre chose.
Après avoir privilégié la thèse de « l’accident industriel » qui aurait été provoqué par un stock « d’engrais » n’appartenant à personne, après avoir retracé l’odyssée d’un cargo fantôme moldave qui aurait sans qu’on en comprenne les raisons déchargé sa cargaison à Beyrouth alors qu’il avait appareillé, paraît-il, pour le Mozambique, après avoir précautionneusement évité de mettre en cause le Hezbollah (qui pourtant contrôle le port), les médias hexagonaux se sont manifestement désintéressés de l’événement.
Les révélations du journal allemand Die Welt
D’autres ont poursuivi l’enquête en y apportant des éléments décisifs.
Le journal allemand Die Welt a ainsi publié le 20 août un article très documenté sur les réseaux d’approvisionnement en nitrate d’ammonium du Hezbollah.
Selon le journaliste Daniel-Dylan Böhmer, rédacteur en chef du service international de Die Welt et spécialiste du Moyen-Orient, le Hezbollah aurait reçu entre juillet 2013 et avril 2014 au moins trois livraisons de nitrate d’ammonium pour un total estimé de 670 tonnes.
Ces livraisons auraient été effectuées par voies terrestres, aériennes et maritimes en provenance d’Iran via la Syrie.
Le journaliste allemand précise que ces informations lui viennent de services secrets occidentaux. Il souligne qu’il a pu consulter les documents de facturation et de livraison via différentes sociétés écrans liées aux Gardiens de la révolution iranienne.
Ces documents indiquent les dates de livraison, les itinéraires empruntés et le montant total des transactions.
Dans un souci d’exactitude, Die Welt considère qu’il n’y a pas de lien direct établi entre ces trois livraisons identifiées et le stock de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium qui ont explosé le 4 août dernier dans le hangar n°12 du port de Beyrouth.
Le journal allemand relève néanmoins que les trois livraisons au Hezbollah de 670 tonnes de nitrate d’ammonium entre 2013 et 2014 ont eu lieu à la même époque que le déchargement dans le port de Beyrouth de 2750 tonnes de la même substance chimique en provenance d’un bateau sous pavillon de complaisance, « alors que Hezbollah stockait de grandes quantités de nitrate d’ammonium à ce moment précis ».
Die Welt cite un « expert occidental en sécurité » qui rappelle que le Hezbollah a utilisé en de nombreuses occasions le nitrate d’ammonium pour fabriquer des bombes, tant à l’occasion de la guerre en Syrie où il combat aux côtés des forces de Bachar el-Assad que lors d’opérations contre l’armée israélienne.
Dans son dernier article, InfoEquitable a également évoqué le réseau de caches clandestines du Hezbollah découvertes ces dernières années par les polices et services anti-terroristes de plusieurs pays à travers le monde (Allemagne, Angleterre, Chypre, Thaïlande…) au sein desquelles des quantités très importantes de nitrate d’ammonium avaient été découvertes.
Silence de la presse française
Les révélations de Die Welt n’ont fait l’objet en France d’aucune reprise de la part des agences de presse ou des grands médias.
L’Agence France-Presse – qui a pourtant un bureau en Allemagne – n’y a pas consacré la moindre ligne.
L’agence Reuters a également fait l’impasse sur les révélations allemandes.
(Deux jours auparavant, Reuters avait consacré une longue dépêche qui reprenait les déclarations du président libanais Michel Aoun mettant hors de cause le Hezbollah dont il est le fidèle allié).
Un journaliste libanais confirme les accusations contre le Hezbollah
Exception notable dans la presse française, l’hebdomadaire Courrier International de cette semaine a traduit des extraits du texte de Khaled Saghieh, un journaliste libanais réputé, qui dévoile le secret de Polichinelle que beaucoup de Beyrouthins connaissaient.
Tenu par des journalistes et universitaires libanais, le blog « Mégaphone » est né dans la mouvance des manifestations contre la corruption de la classe politique qui ont secoué le Liban en octobre 2019.
A propos du nitrate d’ammonium, Khaled Saghieh écrit :
« Je savais que le trafic de cette matière prospérait dans la région en même temps que les guerres. Ces guerres auxquelles participe le Hezbollah… »
« Ce nitrate d’ammonium n’a laissé personne indifférent dans la région (…). Mais il a beau servir en général comme fertilisant ailleurs, au Moyen-Orient, il n’a pas été utilisé pour le « djihad agricole ». En réalité, il a surtout servi à fabriquer des bombes et des explosifs »
« Le Hezbollah nous dit qu’il ne savait pas que des tonnes de nitrate d’ammonium étaient dans un hangar du port. Et son secrétaire général, Hassan Nasrallah affirme qu’il ne savait rien de cet entreposage pourtant situé à quelques encablures de son bureau. Néanmoins, en 2016, il avait menacé le Premier ministre israélien de bombarder Haïfa avec du nitrate d’ammonium. »
« Beaucoup de monde savait pour le nitrate d’ammonium stocké dans le port. »
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